18.06.2011
SCULPTER
Collectionner des timbres ou faire de la broderie, passe, c'est encore humain. Mais faire de la sculpture, quelle folie ! Sculpter, quelle idée !...
...Extraits de SCULPTER
SCULPTER 1
J’avais dix ans. Une de ces sorties familiales qui ont inspiré à Charles Trenet Je hais les dimanches. Endimanchés. L’époque voulait cela. Après l’éternel déjeuner dominical, direction le Musée Rodin. Bon.
Et me voilà tournant autour des sculptures de bronze ; des sculptures de pierre ; des plâtres aussi.
A signaler qu’à l’époque je n’arrêtais pas de dessiner, à l’école, dans les marges de mon cahier de texte, dans les moindres espaces libres de mon cahier de brouillon, sur les couvertures intérieures, et ailleurs, pour combler l’ennui ordinaire et dériver le répétitif des journées de cours ; que je dessinais aussi à la maison, contre la somnolence des interdits, contre la mièvrerie des jeux avec ma sœur, une fille ! Pas de télévision, jeux vidéo pas encore inventés!
Donc, je tournais autour des statues du musée Rodin, je tournais autour des sculptures, dans le jardin, dans les salles, sous la véranda.
Et je me suis dit : « Déjà, dessiner, c’est difficile ! Mais la sculpture, c’est dessiner sur 360 degrés ! c’est dessiner sous 360 angles différents ! c’est 360 dessins rassemblés et unifiés en une seule sculpture ! Sculpter, c’est impossible ! Sculpter, c’est surhumain ! »
Et j’ai continué à dessiner dans les marges ou les moindres espaces libres, tout en prenant mollement les cours, rêvassant, planant.
Et j’ai depuis ce jour toujours une fascination pour tout ce qui est sculpture. De l’admiration.
Et ce qui fait que je n’ai pas sculpté. Pendant longtemps. Trop difficile. Impossible. Surhumain.
Et ce qui fait que je me suis mis à sculpter. Trop fascinant. Trop magique.
C’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est en sculptant que nous sculpterons. Et du coup j’ai aussi une grande admiration pour les sculptures qui sortent de mes mains, teintée d’étonnement, avec une petite pointe d’incrédulité.
Bon. Je suis peut-être le seul à ressentir de l’admiration pour mes œuvres, mais ce n’est pas grave. L’important, c’est cela : le frisson de la création, la sensation du surhumain !
SCULPTER 2
C’est venu comme ça. Dans mon petit chez moi, il n’y avait rien. A part des livres. Beaucoup de livres. De poésie surtout. A part cela, il n’y avait rien.
Quand j’étais hors de chez moi, je ne manquais pas de repérer la moindre sculpture, et il y en a beaucoup à Paris. Ou en France. Une chose est sûre : la France est un pays de sculpteurs.
Il y en a sur les immeubles, sur les places, sur les fontaines, dans les jardins publics, dans les cimetières, sur les gares, sur les monuments, sur les églises, dans les églises, dans les musées, dans les galeries, dans les cours, dans les halls...
Mais il n’y en avait pas chez moi ! J’en aurais bien vu chez moi ! Avoir tout le temps de les regarder, de les observer, de les surprendre, de les tourner, de les retourner, de les contempler, de les interroger...
Mais je n’avais pas de quoi m’en acheter pour me faire une collection ! C’est cher, la sculpture ! Mon grand-père, chez qui je passais toutes mes vacances d’enfant, dans le Lot, à Montcuq, était un collectionneur invétéré. Il collectionnait les clés, les tableaux, les céramiques, les objets anciens, les porte-clés, les objets ruraux, les bouteilles, les faïences, les affiches publicitaires, les couverts... Un vrai bric-à-brac sans fin savamment ordonnancé dans toutes les pièces de la grande maison, dans le jardin, dans l’atelier du XIIème siècle, dans le garage de même époque, allant de la haute qualité au rapprochement kitsch ! Ah, les collections !
Je ne pouvais faire une collection de sculptures chez moi. Mais j’en aurais bien eu envie.
J’avais bien récupéré une femme nue, allongée, sans tête et sans pieds, abandonnée lâchement à la voirie ; ma sœur m’avait bien offert deux statuettes petites toutes simples en pierres, rapportées de Bretagne ; c’est étonnamment perspicace, les sœurs ! Mais c’était tout. Ce n’était pas du tout une collection !
Peux pas avoir une collection de sculptures ! Peux peut-être la créer alors ! Déclic.
Donc, c’est comme cela que j’en suis venu à commencer à sculpter. D’abord l’argile, timidement, jusqu’à ce que j’en obtienne quelque chose sur lequel mon regard pouvait traîner des jours et des nuits. J’ai fait trois têtes en argile comme cela. Puis arrêt.
L’idéal de sculpture est par trop insaisissable ! Et on ne sait au début par quel bout aborder la sculpture ! Sur quelle voie s’engager ! Et on a tendance à tomber dans quelque chose qui n’est pas d’une originalité folle, sans doute pour prouver que l’on fait quelque chose qui est répertorié sculpture, et que l’on est donc sculpteur ! On n’a pas encore tracé son petit sillon ; pas encore déblayé son chemin.
Jusqu’à ce que ça me reprenne. Quelques années plus tard. On n’échappe pas à soi-même. Avec la pierre cette fois-ci. La beauté de la pierre. De certaines pierres. De leur matière. De leur aspect. Leur donner une certaine forme. Les transformer. Y inscrire l’humain. Narcissisme encore ? Les métamorphoser en sculptures.
En plus, avec leur beauté propre, je ne prenais même pas le risque du ridicule ! Elles sont tellement belles au départ, certaines pierres, qu’il est impossible que cela puisse aboutir à quelque chose de trop lamentable !
Pas de risque.
Quoique.
Pourquoi pas !
Chiche !
SCULPTER 3
Au bagne de Cayenne, les condamnés envoyés aux travaux forcés étaient astreints à casser des cailloux. Pour la construction des routes, paraît-il. « Casser des cailloux à Cayenne... » ( Jacques Higelin). Casser des cailloux toute la journée. Tous les jours. Jusqu’à la fin.
Moi, je n’ai besoin de personne pour me condamner aux travaux forcés. Personne ne m’astreint, moi. C’est moi tout seul qui m’y suis collé.
Pourtant, parfois, je me demande vraiment ce que je suis allé me chercher comme tourments avec mes bouts de rochers tellement lourds. Quelle idée de maso…
Aller les prendre. Les soulever. Les déplacer… Trouver les moyens pour réussir à les amener aux expositions… Arriver à les installer au bon endroit et sous le bon angle…
Avoir de terribles lumbagos. Des maux de dos quasi permanents… Cogner sur la pierre. Encore et encore. Pendant des heures. Pendant des jours. Se courbaturer les bras. S’endolorir le poignet. Se meurtrir la main. S’écraser la phalange… Se casser les oreilles… S’auto-envoyer des éclats dans les yeux… Etc.
Casser des cailloux dans ma cuisine.
Pour perpette ?
Alors qu’il existe tant de belles choses dans ce sculptural monde...
SCULPTER 4
Quel poète chantera l’angoisse du sculpteur devant son caillou ?
Oh, ce n’est pas devant le bloc de pierre vierge avant qu’il ne le touche ! Il a déjà oublié depuis la dernière fois ce que c’est que la rude réalité de sculpter, tout obnubilé qu’il est par sa nouvelle lubie à matérialiser, tout enivré par le prochain corps à corps avec un bout de la Pachamama... Incorrigible. On ne se refait pas.
Premiers coups de burin, tout va bien, l’acier mord dans la chair de la pierre, des lambeaux se détachent, je suis le maître de la matière. On s’éponge le front, on souffle un tout petit peu.
Seconde série de coups de burin. Tiens, au fait, il conviendrait de conférer pour de vrai à cette matière inerte la forme que je vois, et cette pierre qui n’est pas tout à fait d’accord, parce qu’elle n’y comprend rien du tout, et qui fait de la résistance, la bougresse !
Et là, plaf ! elle revient, l’angoisse du sculpteur au moment de la troisième série de coups de burin...
Et là, à nouveau, on est le dernier des derniers, encore une fois, le plus minable de tous, l’incapable de service, et quelques coups de burins supplémentaires de nous convaincre que ce dernier point de vue sur le Maître en gestation est le véridique. Mais qu’est-ce qu’on est allé se fourrer dans cette galère, et tout seul en plus, alors qu’on ne nous avait surtout rien demandé d’autre que de voter ! Alors, de lâcher burin et massette. De tourner en rond. De sortir dépité faire un tour.
De téléphoner. «- Allô, ça va ? - Oui, ça va et toi ? - Eh bien non, justement, ça ne va pas ! - Ah. Et pourquoi ça ?...» Peux pas dire : parce que la pierre ose me résister. Ridicule. Ni : parce que je suis un incapable. De quoi aurait-on l’air ainsi mis à nu, surtout que l’autre risque d’acquiescer. Alors on dit que ce n’est rien, que cela passera, qu’on rappellera ultérieurement, qu’on est justement appelé sur une autre ligne... Non seulement minable, incapable, aussi menteur. Mais en plus, pire que tout : seul ! Tout seul au monde ! Et rendu autiste par cette même incapacité muette !
Artiste, autiste. Presque la même chose, presque le même mot. Sans doute que l’artiste prend des airs (oui, il prend des -r-), alors qu’il est un nu (oui, il est un -u-).(Oui : a-r-tiste, a-u-tiste). Terrible.
Abominable. A ne pas souhaiter à son pire ennemi. Et, après quelques heures dans le meilleur des cas, ou quelques jours, ou quelques semaines d’angoisse, on se ressaisit soi-même et par la même occasion enfin du burin et de la massette, et, désespoir ? rage ? on éclate cette maudite matière jusqu’à n’en plus finir, jusqu’à avoir des éclats dans le cou, dans les yeux, dans les narines, dans les oreilles, jusqu’à ce que le caillou en crève, et, mystère de la création, comme par hasard, on retrouve des lignes, on renoue avec des reliefs, et l’idée de départ vient s’ajuster, se superposer, et, bouillonnement aidant, on l’imprime à coups redoublés de massette à cette matière qui n’avait jamais rien fait à personne...
Mais, au bout du compte, la rage s’est transmuée en persévérance… le désespoir en idée fixe… et le miracle s’est encore une fois produit. La dernière ?
« Tu accoucheras dans la douleur... »
Sculpteur cherche péridurale.
SCULPTER 5
L’anecdote est connue, de l’enfant qui demande au sculpteur « comment tu savais qu’il y avait un cheval dans la pierre ? » L’anecdote est belle par la naïveté qui engendre le merveilleux, et, bien sûr, à part l’enfant, personne ne croit qu’il pût y avoir un cheval dans un bloc de pierre, ou une Vénus, ou autre, et qu’il pût s’agir pour le sculpteur de se contenter de le ou la dégager.
Personne ne le croit, sauf moi, bien sûr.
En effet, c’est ainsi que je procède, quand je sculpte : de manière à dégager ce qui est dans la pierre… Je regarde une pierre dans la nature, et si j’y discerne une forme qui s’esquisse, ou un mouvement dans les minéraux qui la composent, et que cela m’inspire quelque chose, point de départ de travail, alors je prends cette pierre.
Sinon, je fais et je refais éternellement, tragiquement, toujours la même œuvre, et elle m’insupporte rapidement, preuve tangible de la misérable limitation de mon pauvre esprit et de sa lamentable inspiration.
Ce qui me réduit rapidement au silence : je ne sculpte alors plus du tout. Car je ne sculpterais que du sous-Michel Cand, comme on ressasse du sous-Mickey. Et je ne m’étonnerais plus moi-même, et je ne me surprendrais plus, et je m’ennuierais, et au bout du compte, je ne me plairais plus à moi-même, car je ne croirais plus en moi en tant qu’être admirable susceptible de susciter des merveilles, et il m’arriverait le pire qui puisse arriver à un être humain : je ne m’aimerais plus ! Catastrophe absolue de la condition humaine !
Alors qu’en suivant ce qu’il y a dans la pierre, l’esquisse de forme ou de mouvement de la roche, alors je dégage quelque chose qui est inscrit quelque part dans la roche, quelque chose que je ne connais pas, que je découvre au fur et à mesure de la sculpture, qui n’est pas dans l’ordre de ma pensée, qui a sa propre logique, que je prends en filature, et que j’ai hâte de découvrir, avec mille précautions pour ne pas rater le dégagement et pour ne pas gâcher le mystérieux secret de la pierre… Ce qui me surprend à tous les coups, parce que je n’aurais jamais imaginé aboutir à ce genre de résultat, justement parce que ce n’est pas dans l’ordre de ma pensée.
Cela tient du travail du photographe (sélectionner une pierre parce que l’on y voit quelque chose en latence), de l’archéologue (dégager une oeuvre inconnue de sa gangue), et aussi quand même du sculpteur (rendre visible de l’idée à partir de la matière brute) ! Ainsi, je regarde, j’explore, je tâtonne, je découvre, je m’étonne, je m’émerveille, enfin bref je ne m’ennuie pas du tout, et j’ai perpétuellement le désir de découvrir le secret qui est caché au fond de la roche. On s’amuse comme on peut.
Et en même temps bien sûr, nouveau découvreur de trésors insoupçonnés, l’image de mon pauvre moi-même en est rehaussé ! Quel créateur que je suis donc, quand même, bon sang, capable de rendre visible tout cela ! Et du coup je m’admire un chouia, et donc je m’aime un peu ! (Il faut bien quand même que quelqu’un s’y colle, à m’aimer, sinon la vie serait invivable !) En quelque sorte d’une pierre deux coups !
Mais en même temps, malgré les apparences, cela rend modeste. Eh oui, je suis quand même conscient de la limitation de mon pauvre esprit et de mon effacement devant le génie authentique de la nature.
Et que ce qu’il y a quelque part caché dans la nature apprend, fait découvrir, aussi, une autre manière de penser. La nature est un grand professeur.
Bon, en fait, je m’émerveille devant ce que mon imagination voit dans la roche.
La nature, quelle source d’inspiration infinie !
Je n’y ai pas encore trouvé de cheval.
Pas encore.
Patience, peut-être un jour…
SCULPTER 6
Après 68, la spontanéité a été à la mode.
Spontanéité ; vitalité ; vérité ; franchise ; honnêteté ; énergie ; enjouement ; simplicité ; plaisir ; convivialité ; fraîcheur ; naturel ; pureté ; vivacité ; ingénuité ; véracité ; sincérité ; innocence ; authenticité... Ô, les hautes valeurs de la spontanéité !
En ce qui concerne la sculpture sur pierre en cuisine en appartement parisien d’immeuble honorablement habité, la spontanéité connaît des limites extrêmes. Extrêmement étroites. Quand à deux heures du matin jaillit soudainement une solution technique ou conceptuelle...
Quand il s’agit de travailler au corps une pierre au burin et à la massette pendant des heures avant qu’elle ne daigne accepter de prendre la forme conjecturée par son tortionnaire...
Mais essentiellement quand de toute manière il s’agit d’œuvrer strictement entre 10 et 12 heures ou entre 14 et 17 heures les jours de semaine de manière à ce que les voisins ne remettent pas en question la liberté d’expression lithique...
Mais aussi quand on a un projet bien arrêté et fin prêt, mais qu’on n’a pas le matériaux adéquat, et que l’on doit attendre la bonne occurrence pour aller se ravitailler en pierres de Bretagne ou d’Auvergne...
Bon, c’est vrai, la spontanéité, c’est intéressant. Mais il n’y a pas que cela.
Ce n’est pas vraiment la caractéristique de la sculpture sur pierre.
Je le confesse spontanément.
SCULPTER 7
Mais qu’est-ce qui nous pousse à nous montrer ainsi ? Qu’est-ce qui nous astreint à prendre ce risque insensé de s’exhiber au regard de l’autre, cet inconnu ? De milliers d’autres ! Sous les projecteurs ! Se mettre à nu ! Comme les esclaves des romains jaugés en place publique ! Ou peut-être pire, travestis par l’art dont on pense parer nos visions !
Qu’est-ce qui nous oblige donc à nous soumettre au jugement de qui passe ? Comme les âmes à la plume d’Anubis ! Alors qu’on aurait tout aussi bien pu rester dans son petit chez soi, par exemple à regarder une balle aller et venir, plateau-télé sur les genoux, tentant le vide parfait intérieur tant recherché par les taoïstes d’antan, qui manquaient cruellement, c’est trop dur, de matches télévisés. Confortablement. Mollement.
Mais quelle maladie mentale incurable ? Quel traumatisme infantile bien enfoui ? Quelle idéologie dictatoriale débile ?
Faire des pieds et des mains pendant tant d’années dans le but ultime d’être exposable! Faire des pieds et des mains pour arriver malgré tout à amener, et puis à installer les sculptures sur le lieu de l’exhibition ! Des années de recherches sur des voies non inventoriées !
Pour entendre dire au bout d’un examen de trois secondes : « Ah oui, c’est intéressant...» Ou alors : « Ca représente quoi au juste ? » Ou alors : « Vous l’avez fait en combien de temps ? »
Aller se faire cataloguer. Sommairement. Aller se faire examiner. A la va-vite. Aller se faire estimer. Volontairement. Par des indifférents dont peut-être un seul sur mille possède une vraie culture de l’art contemporain.
Sciemment.
Alors qu’on ne nous a rien demandé.
Rien d’autre que d’apporter nos suffrages.
Mais qu’est-ce qui nous pousse donc, bon sang ?
SCULPTER 8
Il s’agit pour le sculpteur de savoir choisir dans quelle voie il lui convient de s’engager.
Soit il œuvre pour les galeries afin d’atteindre le juteux marché des amateurs d’art éclairés - les amateurs d’art sont toujours éclairés, d’après ceux qu’ils font vivre ; alors que les artistes sont allumés ; et les œuvres illuminées sous les spots ; ce qui revient à dire, si j’ai bien compris, qu’un peu de la lumière des artistes et de leurs œuvres rejaillit sur les amateurs d’art - afin de s’en mettre plein les poches et de parader dans les cocktails. Il s’agirait donc de savoir plaire.
Soit il opte pour la sculpture d’extérieur, qui a pour vocation d’être intégrée dans le paysage urbain du passant et donc d’animer le quotidien et de servir l’espace, en relation avec les municipalités en particulier.
Soit il s’acoquine avec l’un ou l’autre parti politique, ce qui lui assure quelques commandes ; voire même il peut en devenir le spécialiste de la sculpture ou le sculpteur officiel.
Soit il se spécialise dans un créneau porteur bien particulier : les établissements scolaires par exemple, ou la sculpture animalière, ou les sportifs, ou la sculpture funéraire...
Soit il jette son dévolu sur la sculpture de commande. Il lui suffit de suivre l’actualité au plus près, d’être un bon technicien sachant s’adapter, capable de réaliser le portrait de tel écrivain, la statue de tel général...
Soit il vise tous les concours et autres appels d’offres et tente inlassablement d’y répondre après s’être bien renseigné sur les personnalités du jury, leurs attentes...
Soit il s’engage dans la voie de la dérision et de la critique afin de dénoncer et de s’insérer dans le débat d’opinion citoyen.
Soit il s’insère dans un contexte touristico-traditionnel et développe un savoir-faire ancestral à partir d’une particularité régionale, comme le bois, la lave, l’ardoise, le granite...
Soit il se décide à donner dans la sculpture événementielle, quitte à créer de l’éphémère tout en touchant un public large de spectateurs pas forcément intéressés au départ par la sculpture, comme les sculpteurs de glace.
Soit il adopte la difficile voie de la création d’œuvres intemporelles, à vocation universelle, au prix de longues recherches isolées, solitaires, inconnues.
Soit il tente d’innover, et par là d’ouvrir des voies nouvelles, s’informant sans cesse des nouvelles apparitions de matériaux à travers le monde entier.
Soit il se décide pour le monumental, oeuvres peu nombreuses de très grandes dimensions, vouées - en principe - à devenir des phares touristiques dans leur région.Soit il scandalise afin de faire bonne presse et bonne promotion de son oeuvre, afin de tenter de devenir un peu populaire et d’avoir sa part d’audimat.
Soit il utilise les nouvelles technologies, développant ses connaissances dans ce domaine, se tenant sans arrêt au courant des dernières nouveautés et expérimentant les plus probantes.Soit il préfère tenter de mettre en matière et en forme des concepts, des idées, des sensations, des sentiments, afin de séduire l’épouse du particulier.
Etc.
SCULPTER 9
Il faut être malade pour être sculpteur sur pierre.
De toute façon, s’il ne l’était pas au départ, il le devient immanquablement...
Ca commence par le mal de dos perpétuel. Aller se coltiner de tels poids... Mais ce n’est rien du tout encore. Parce que, ce qui l’attend !…
Alors, par exemple, c’est le lumbago, qui fixe dans l’immobilité pendant quelques semaines, comme un insecte épinglé… Mais alors la plus totale immobilité, parce que si on se hasarde à bouger un orteil, on est soudain flashé-transpercé-crucifié de lancinances qui vous tordent en un fragment de seconde et vous laissent pantin dans une posture non voulue dont on ne peut plus sortir, sinon, re-flash-transpercement-crucifixion !
Et puis c’est aussi par exemple la sciatique, qui tend à bloc une insoupçonnée grosse corde électrifiée de piano sourdement, sournoisement, sourcilleusement, sorcièrement, sortilègement, qui semble se vriller en spirale à l’intérieur de la chair à travers la fesse, la cuisse, le genou, le mollet, le pied, l’orteil, tendu à bloc jour et nuit, et nuit et jour, sourdement hurlant, debout, assis, allongé, agenouillé, penché, porté, couché… comment se mettre ?
Mais c’est encore la luxation du poignet droit à force de cogner comme un sourd à la mailloche ; et si l’on s’avise de bouger le petit doigt, ou de vouloir se brosser les dents, ou de conduire, ou tout ce qui se fait à deux mains, alors là, ouille aïe ! ouh, ah là là !
Mais il y a encore l’écrasement de l’articulation supérieur du pouce de la main gauche, un coup de marteau est si vite arrivé !
Mais il y a encore l’éclatement de l’index giclant en cerise !
Mais il y a encore les éclats qui ne veulent plus sortir des deux douillets yeux où ils se sont logés !
Etc.
Vraiment, ces sculpteurs sur pierre, des malades.
SCULPTER 10
Est-il totalement obsolète de sculpter la pierre au XXIème siècle ? Est-ce complètement rétrograde ? Est-ce du plus pur passéisme ? Est-ce d’un aveuglement risible ? Cela va-t-il à contre-courant de la civilisation ? Le sens de la civilisation, c’est l’utilisation des médias pour transférer l’image duplicable en temps réel à tous les coins de la ronde planète.
Photographies. Vidéos. Créations numériques. Œuvres virtuelles. Images immatérielles. Démocratiquement visibles gracieusement de presque partout. Foin de la matière et de ses contraintes que l’humanité a été obligée de se coltiner pendant des millénaires et des millénaires. Enfin libérée des pesanteurs de l’univers.
Et voilà-t-y pas qu’il y en a un qui s’obstine à donner dans le pesant. Dans le brise-rein. Dans l’intransportable. Dans l’immobile. Dans l’unique.
Pour voir Amazone de Michel Cand, allez chez Untel, telle adresse, telle ville, mais surtout prenez soin de téléphoner avant afin de pouvoir obtenir un rendez-vous, et si vous insistez en précisant que vous appelez de ma part, je suis sûr qu’il condescendra à vous laisser entrevoir quelques minutes l’inestimable chef-d’œuvre du maître…
Vous voulez exposer les œuvres récentes de Michel Cand ? Contactez une entreprise de transport qui se chargera des portages, des transferts en camion et en avion, et de la mise en place…
J’en sais quelques uns qui se sont reconvertis dans la sculpture sur matériaux plus modernes. Pas par hasard. Quelques uns dans la sculpture sur résines. D’autres dans la sculpture sur toiles. Quelques unes dans la sculpture sur papier à armatures de fils métalliques. D’autres dans la sculpture sur éléments gonflables. Etc. Plus légers. Mais toujours uniques.
Certes, une photographie de sculpture peut envahir la planète. Mais ce serait une œuvre de photographe porteuse de la vision du photographe. Bref une photographie.
Mais sculpter la pierre, quel folklore ! Comme les préhistoriques. Age de la pierre taillée. Pour ma part je n’en suis pas encore à l’âge de la pierre polie. Peut-être dans un millénaire ou deux. En viendrai-je à d’autres supports ?
Obsolète à mort.
Totalement désuet.
Complètement arriéré.
Grotesquement rétrograde.
Pourtant c’est beau la pierre.
SCULPTER 11
Imaginez-vous dans une pièce nue. Genre chambre dans un lieu à louer. Vide.
Dans cette pièce nue, adossez-vous à un mur. Avancez. A pas ordinaires.
Vous rencontrez le mur d’en face. Et vous le gravissez, pas à pas, à l'horizontal, jusqu’au plafond.
Et le plafond, vous l’arpentez, pas à pas, jusqu’au haut du mur de départ. Et vous redescendez le mur, à l'horizontal, jusqu’au bas, jusqu’à votre point de départ.
Eh bien, la sculpture, à un moment, c’est comme ça. C’est du surdimentionnel.
Quadrature du cercle.
Peux pas mieux dire.
© Michel Cand
15:30 Publié dans Sculpture... TEXTES | Tags : michel cand, sculpture, sculpter, sculpteur | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
tu as fait de ton blog un beau canal pour tes écritures et tes sculptures ! Félicitations !
Écrit par : dieu khac | 23.06.2011
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