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28.09.2011

VOYAGE HUMANITAIRE AU BURKINA FASO

Jean Lamotte, celui qui donne aux gens l'âme haute, et Z, alias Milan Zivkovic, ont organisé un petit voyage humanitaire au Burkina Faso, histoire de régler la gestion des parrainages, de contrôler des projets en cours, de régler des jumelages. J'en ressortirai que je parraine toujours deux enfants burkinabés qui ont bien grandi...

Voici le journal de ce voyage, qui devait être publié par le CNDP du Val-de-Marne, mais celui-ci a été victime d'un incendie juste avant...

 

...Journal de voyage

 JOURNAL MOSSI-BOUABA

Journal de voyage humanitaire au Burkina Fasso, 1998

à Yannice

à Jean

 à Z

Prologue

Vingt minutes avant le départ, j'ôte mon vieil appareil photo, lourd, du sac à dos : les photos ne me permettront pas de garder en mémoire le quart du dixième des péripéties de mon premier voyage sahélien ; seule la tenue minutieuse d'un journal comblera tous les blancs de mon oublieuse mémoire. Je glisse dans ma poche un deuxième de ces carnets qui ne me quittent jamais. Bic rétractile noir. Paré.

Ceci n'est donc qu'un aide-mémoire.

Dommage que je n'y aie pas fait revivre les personnages attachants avec lesquels j'ai partagé le quotidien. Dommage que les projets développés par l'équipe n'apparaissent pas.

Rien qu'un aide-mémoire. Non exhaustif. D'un point de vue unique. Juste un aide mémoire.

 

Paris, février 1998

Comment, avec Yannice, 10 ans, rallier Roissy-Charles de Gaulle terminal 2, avec deux gros mossi,bouaba,michel cand,burkina faso,jean lamotte,zsacs à dos, deux bagages à main, un gros sac de voyage rempli de jouets, vêtements, médicaments et autres à donner à Fouankuy, sans compter une centaine de barres de céréales pour qu'Yannice ne meurt pas de faim au Sahel, et un autre gros sac de voyage bourré de vêtements, médicaments, cahiers, stylo, livres, etc., donné par l'association de l'école d'Yannice et à remettre à Bobo Dioulasso ? Ne surtout pas se poser la question. Se mordre la lèvre, baisser la tête, et foncer. Héroïques, Rues. Métro. Correspondances. R.E.R. Roissy. Air Afrique. Ouf !

Ils sont tous là, autour de Jean et de Z, un peu inquiets parce que j'ai tous les passeports avec visa et que nous ne sommes pas en avance. Salut, salut, salut. C'est parti.

 

L'Airbus A330 a traversé quelques turbulences, et, après les Pyrénées en carton et la côte algérienne en maquette, s'est enfoncé dans la nuit saharienne, aveugle, jusqu'à ses 4000 et quelques kilomètres.

Ouagadougou, étendue, aux petites lumières éparses dans le noir, au stade anneau ovale illuminé comme une bague de chez Cartier. Ah oui, comment ignorer la Coupe Africaine des Nations, avec les revues d'Air Afrique !

           

Atterrissage. Eté. Bienvenue de Bicaba, au visage grave, profondément scarifié ; en uniforme de l'armée ? Non, de la gendarmerie. Nous sommes en pays mossi. Carte de débarquement, douane, bagages. Bienvenue de Pauline, au visage tout en rondeurs satinées, au sourire qui semble éternel.

Le Togo mène 1 à 0.

Les bagages, nos très nombreux bagages (chacun a fait des miracles pour ramener du matériel à donner, et Jean et Z ont pu obtenir des autorisations de suppléments gratuits auprès d'Air Afrique) sont silencieusement emporté par des dizaines de mains noires avant qu'on ait le temps de dire "au voleur !" Heureusement, Jean m'a prévenu, je ne crie pas : la petite foule de porteurs. Chargement des bagages sur le toit du petit car. Finalement le chargement est aussi haut que le car. Ca tiendra peut-être avec ce réseau de bouts de ficelles. 

Entre la grande avenue brillante des gratte-ciel des banques et des assurances, et puis les bas-quartiers sombres à échoppes et buvettes, le Ghana égalise.

Dans la villa vétuste réservée pour nous quatorze, les beaux cafards géants vernissés prospèrent entre et sur les vieux matelas en mousse cradingues. A part ça, la villa aux couleurs indéfinissables est entièrement vide.

La rue clair-obscurcie par les étoiles est une piste, jusqu'à la buvette, halo lumineux, où des âmes s'agglutinent autour d'un téléviseur. On s'attable à même la rue pour cette première tournée dans l'air sec du Sahel. Bière glacée ou Fanta-cocktail de fruits. Le Togo met un deuxième but. Fin de partie. Victoire. La Togolaise, en plein ravissement :"Nous croyons, alors nous gagnons."

Villa. Dormir. Oui mais pas avec les cafards. Sur la terrasse. Installation des sacs de couchage. Seuls Emilie et Yohann acceptent de se faire piétiner pour un peu d'intimité.

Après les relents de musiques africaines, c'est le concerto des chiens à la lune, qui est pleine. Des moustiques en piqué. De temps en temps un dialogue de coqs. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien se raconter à une telle heure ? Un âne brait. Brait encore.

Et enfin l'appel à la prière.

 

Au petit matin, découverte de la beauté de l'Afrique, à travers ce bas-quartier ; beauté qui tient au fait que tout, la "villa", la terrasse, le jardin sec, le muret qui l'enserre, la rue-piste, les autres murets, les maisons basses, tout a la même couleur, ocre léger, poussière de sable, ocre passé, brûlé.

Et les petits Africains et les petites Africaines qui s'arrêtent devant la grille, yeux écarquillés, amusés, qui nous regardent, toubabs ébouriffés dans leur sac de couchage.

Soleil atténué par l'harmattan porteur de poussières de terre attrapée au-dessus du Sahara. Ciel d'une couleur intermédiaire entre le grand bleu et la poussière de terre ocre léger, brûlé.

Un vautour médite sur un arbre nu qui dépasse du muret d'en face.

Plus d'eau dans la villa, qu'on entendait couler toute la nuit pourtant. Juste de l'eau au pseudo-robinet de la cour. Donc très vague toilette.

Départ pour un petit-déjeuner, à travers les rues-pistes ocre léger, passé. Deux vautours planent bas.

Maquis (=buvette-restaurant africain). Chez Imbiss. Toit de roseau local, couleur vert vif des murs, alternant avec du jaune foncé, un vieux cadre avec photo chinoise, face à lui le portrait officiel du Président Blaise Compaoré. Le haut du mur d'en face est ajouré de claies.

Après le gobelet d'eau en plastique mou et coloré genre verre à dent années 50, la grosse boîte de lait concentré sucré est déposée sur la longue table recouverte de toile cirée vantant en noir et blanc les mérites de la bière locale, puis le mégathermos d'eau chaude, et le Nescafé est parcimonieusement servi avec une cuiller à moka, à raison de deux cuillerées à moka par gobelet ; et le pain beurré.

Car ; départ pour le marché. Halte à l'Hôtel Indépendance, où Franck change l'argent de tous, confié chez Imbiss. Le car entouré d'une nuée de petits revendeurs. Cigarettes, monstres, billets de loteries, eau en sachets en plastiques, beignets, poignards touaregs, bijoux en plastiques, pagnes...

Tentative avortée de coup de téléphone. Pas de timbres non plus.

Le marché. Nuée de petits revendeurs autour de nous comme des journalistes suivant un Premier Ministre. On vend de tout, assis parterre, ou accroupi, ou allongé sur un banc ou sur le marchandise. Des racines, des noix, des feuilles, des pâtes, des outils, des dessous, des boîtes vides, des boîtes pleines, des sandales en plastique, des chapeaux en paille, des pièces de mécanique, des bouteilles olivâtres, des poudres, des piles, des objets dans non, des objets innombrables, des bassines émaillées à fleurs, des seaux en plastiques, des pagnes, des boubous... Justement, les pagnes, les boubous. Cécile et Claire mènent la traversée, guidées par Pauline. A une halte, j'achète ma fameuse moustiquaire, à la recherche de laquelle j'ai fait tout Paris ; marchandée par Pauline, elle me revient huit fois moins cher, Claire avait raison. Et que ça fait travailler les Burkinabés ! Pendant que les nanas vont de pagne en pagne, achat d'un chapeau de paille pour Yannice. Redémarrage. Enfoncée par l'intérieur. De la fragrance la plus suave à la puanteur la plus écœurante. Patchwork de couleurs éclatantes et de bois sombre. Allées de plus en plus étroites, de plus en plus sombres, de plus en plus labyrinthiques, revendeurs de plus en plus hâbleurs, de plus en plus accrocheurs, de plus en plus pressants, de plus en plus oppressants... Yannice n'aime pas du tout, s'agrippe à mon bras ! Vers la sortie ! Dédale de couleurs éclatantes, de misères couleur terre, d'êtres grouillants, d'yeux observateurs ! Deux hommes qui rampent ! Des enfants qui poursuivent, qui poursuivent, depuis le début, pour vendre un malheureux sac en plastique "dix centimes ! dix centimes !" Sortie du marché. Ouf ! Mais le car qui n'est pas encore là, et les vendeurs qui nous pressent toujours... !

Le choc du marché d'Ouaga. Pourtant Jean m'avait prévenu.

Retour à la ville, par les rues-pistes aux longues tranchées ouvertes dans les trottoirs. Traverser le rue en évitant tous vélos et mobylettes. Attente des autres, qui sont chez la sœur de Pauline, qui sont à la buvette, qui sont ailleurs, du chauffeur qui est allé chercher son paquetage.

Danièle et moi achetons des tongs à un marchand ambulant de savates, toute sa marchandise présentée sur sa drôle de carriole à main. Claire me dit que Cécile est au plus mal, parce que son petit ami comme on dit n'est pas venu.

On va voir le bronzier, quelques rues-pistes plus loin. "Mais c'est Doudou !" C'est Edouard, le petit ami comme on dit de Cécile, tout juste arrivé de Bobo Dioulasso où il habite. Chez le bronzier. On visite les différents stades de fabrication, de l'âme en bois au moule composé aussi de crottin de cheval, à la fonte, au limage et au polissage. Derrière l'échoppe sans couleur aux étagères brutes remplies de bronzes dorés ou noirs, c'est la cour noirâtre, avec bourbier louche, tas de cendres en guise de four, tas de rebut de morceaux de bronze, tas de bois, un cheval qui philosophie, sous un genre de toit un tas de bronzes avec quelques apprentis limeurs et polisseurs de dix à quinze ans, et deux petits enfants intimidés dans leur jeu par notre présence, gardés par une grande sœur... On passe commande. On repassera les prendre avant de repartir dans quinze jours.

Bicaba est en civil ce matin, le vêtement militaire troqué contre une tenue sombre tout aussi stricte. Les nombreuses scarifications de son visage au grand jour.

Car. En route pour Ziniaré. Les lacs-réservoirs, les huertas, percées de vert presque fluo s'il n'était tendre, dans le paysage uniformément ocre léger, passé. Un baobab, de ci de là, qui dépasse tout le monde de la tête et des épaules. Un troupeau de zébus. Un autre. Des chèvres. Des greniers à grains sur pilotis avec le toit de chaume comme un chapeau de paille pointu de travers. Des cases-châteaux-forts : un muret enserre en les reliant des cases rondes individuelles, laissant une vaste cour centrale. Des poules, des moutons. Paysage couleur terre ocre brûlé, parsemé de rares arbustes têtus, hirsutes, fous. Le zébu aux cornes colossales. Les petits marchés, coins à palabres sous des abris : de longues branches fortes, torses, fichées en terre, fourchues au bout, qui soutiennent de longues branches torses, qui portent des tresses de chaume pour toit. En dessous, Africaines et Africains immobiles comme des souches nous regarder passer, ou pas. Des poules, des cochons. Deux enfants jouent à se battre. ET des vélos, des bicyclettes, des vélomoteurs, des mobylettes, des motocyclettes... Oh ! un accident : mauvaise rencontre entre une mobylette et un vélo. Pas grave. Ils vont sur leurs engins dans leur costume traditionnel, chamarrés, droits, ou alors dos ronds, paniers devant, femme derrière, enfant dans le dos, ou alors monceau de marchandises sur le porte-bagages.

Arrêt en cours de route. Qu'est-ce ? Octroi ? Péage ? Taxe routière. Aller payer à un camion, pendant que les militaires nous regardent à peine, occupés à contrôler une camionnette-bus d'autochtones patients et diligents.

 

Ziniaré. On tourne à droite. Rue-piste ocre léger, cuit, entre des murets de propriétés plus vastes qu'à Ouaga, aussi basses, rez-de-chaussée uniquement ; des branchages qui dépassent parfois ; prospérité très relative.

Arrivée devant le maquis. Débarquement. Fausse manœuvre, on repart aussi sec à pied ou en car vers la "mairie/meeri" (en moré) où on nous attend. Là, rencontre officiel, serrements de mains, discours de bienvenue du maire très souriant, dynamique, qui dit "O.K." entre chaque phrase, en jogging rouge vif avec le drapeau burkinabé dans le dos. Discours en retour de Raymond, notre élu à nous, conseiller municipal de Chelles. Ils se serrent la main : vite, photo officielle devant les photographes officiels, c'est à dire Jean, Claire, Victor, puis photo de groupe devant la mairie/meeri.

Retour au maquis. Intérieur : vaste salle nue avec comptoir strictement nu. Assis dans les fauteuils de jardins autour de trois tables. Deux hôtesses, dont une charmante, en uniforme d'hôtesses à l'africaine : tee-shirt à pub électronique, pagne chamarré. Leurs gestes lents et mesurés apportent bières, coca, fanta, Youki, le tonique local, puis les verres, puis décapsulent en laissant précautionneusement la capsule sur le goulot, à cause des mouches. Deuxième tournée : il fait soif au Burkina. Ensuite elles, avec un petit seau en plastique d'enfant, réceptacle d'eau usées, et une bouilloire d'eau fraîche, s'arrêtent devant chacun de nous, et versent de l'eau, pour qu'on se lave les mains. Un plat de brochettes et autres viandes rôties diverses avec poudre de piments sur le côté est servi sur chaque table. Du pain en accompagnement. Quel fumet ! On attend, qui ? le maire ? un préfet ? un ministre ? ça refroidit dangereusement ! Ce fumet ! Finalement Jeanne se saisit de la première brochette, signal du régal réparateur, qui n'est pas passé inaperçu : douze mains blanches, une main café au lait et une main noire avancent vers les beaux morceaux...

Yannice récupère du traumatisme du marché grâce aux boissons, au repas, et à sa conversation avec Claire. Jean rayonne en invectives. Z et Pauline trônent.

On retrouve Cécile au bar, derrière un pastis : le première fois d'une longue série.

Bon. Il s'avère réellement nécessaire que j'aille faire ma première visite à d'authentiques latrines africaines. Bon, courage. J'y vais. Traversée de la cour. Comment ça va être ? Qu'est-ce que je vais trouver ? Vais-je y survivre ? Ca y est, j'y suis. Vérifier s'il y a quelqu'un. Non. Je tire la porte... Un réduit carré, cimenté, une porte qui ne ferme pas à clé, un trou carré au milieu du sol, la fosse en dessous, c'est strictement tout. Et la puanteur ! Et, voyons voir ce qui se passe au fond du trou carré : oh la la ! ça grouille ! ça grouille !

 

Re-car. Redémarrera-t-il ? Non. Ah si ! Au chauffeur, Franck, Yohann, Victor, Emilie, Cécile chantent : "Il est vraiment/ il est vraiment/ Il est vraiment phé-no-mé-nal/ la la la la la la..." Et de nous entraîner dans un terrible Alexandrie Alexandra...

Quatre kilomètres de piste. Brousse. Arrivée à Nakamtenga.

Sortie du car habituelle de Victor, Yohann, Franck, Yannice, par les fenêtres. Si, si, Franck passe.

Accueillis par de l'eau minérale fraîche dans les timbales en inox.

On met à notre disposition, incroyable ! Ces cases rondes à toit de chaume, d'une beauté tout africaine, pour dormir les deux nuits suivantes ! Bien organisé, Jean !

Cécile, Franck et compagnie vont en ville. On saura plus tard que c'était pour boire et acheter deux bouteilles de pastis de Marseille à 15 francs pièce.

Les autres, sauf Jean qui connaît, visitent l'école agricole avec le secrétaire exécutif adjoint et Antoine.

D'abord la pépinière avec ses essences adaptées, et ses semis, dans des petits sacs en plastiques avec un mélange de trois terres. Eucalyptus et compagnie, et aussi nim, avec les fruits duquel il remplacent de D.D.O. "en respectant la terre", pour le soin de plantes du genre coton.

Et puis c'est l'élevage, avec les chèvres, les poules, les zébus. Et puis, les "porcs" ; Pauline : "Les porcs n'aiment pas quand c'est sale, il faut balayer tous les jours". Les pauvres mâles de la portée ! Ils sont castrés ! Et on fait appel à un "étalon" d'un autre sang pour conserver le gabarit des cochons. Un goret malade. Il dort. Chut !

Après, c'est la salle d'alphabétisation, genre salle de classe minimaliste, où nous apprenons quelques mots de moré inscrits au tableau noir : "buudõ" qui se prononce bououdin, qui signifie "famille" ; "boko" qui se prononce boko,  qui signifie "trou".

(Suite à venir...)

© Michel Cand